Le droit de mourir comme ultime soin de la personne ?

Le droit de mourir comme ultime soin de la personne ? L. Cournarie
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Revue Philopsis (6-05-2024)

 

Le temps venu de la loi

Après que le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE)[1] a mentionné pour la première fois en 2022 une « application éthique de l’aide active à mourir » et après la consultation citoyenne sur la fin de vie qui s’en est suivie en 2023, sous le pilotage du Conseil économique, social et environnemental, le temps est donc venu, en France, de légiférer sur l’euthanasie et le suicide assisté[2]. En 2018, le CCNE déclarait que « les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi »[3]. Sans doute « l’angoisse de la mort ne sera jamais apaisée par la seule médecine »[4] ou par le droit. Toutefois une loi sur le « droit de mourir » ne peut manquer d’entériner certaines orientations ou évolutions d’opinion. Et à défaut de la résoudre, la loi s’apprête peut-être à clore la question éthique de la fin de vie[5]. Trêve donc de réflexion, d’avis, de consultation. Il convient à présent de passer des atermoiements et des paroles aux actes et de surmonter les préventions encore exprimées en 2022 par le CCNE contre le franchissement du « pas législatif ». L’éthique de la vertu « linguistique », si l’on peut dire, euphémise certes en (s’) obligeant avec insistance de parler d’ « aide active à mourir »[6]. Le vague rhétorique de l’expression vient au secours de la justesse des situations distinctes : assistance au suicide, suicide assisté, euthanasie. Mais il ne faut pas se payer de mots. L’objet de la nouvelle loi[7] sur la fin de vie est parfaitement déterminé : le droit de mourir dans la dignité restera un vœu pieux s’il n’intègre pas, comme ultime soin de la personne, l’euthanasie et/ou le suicide assisté. Or puisqu’il ne doit pas le demeurer, il faut sans tarder davantage — et après d’autres pays dont on ne peut pas soupçonner qu’ils méprisent la dignité humaine — légaliser l’aide active à mourir. Ce n’est d’ailleurs pas tant une question de dignité que de liberté démocratique et d’égalité républicaine. Donc nihil obstat… 
Philosophiquement trois questions principales restent posées. (1) Une question éthico-juridique : de quel type de droit relève le droit de mourir, de la catégorie des droits-libertés ou des droits-créance ? (2) Une question éthico-métaphysique : le droit-liberté de mourir et/ou le droit-créance à mourir dans la dignité ne trouvent-ils pas leur fondement dans deux principes où se joue le statut de la personne humaine : l’autonomie ou la vulnérabilité ? (3) Une question éthico-pratique (thérapeutique) : le droit de mourir dignement[8] doit-il être complété par le droit au suicide assisté, voire accompli par l’euthanasie[9], c’est-à-dire par le droit d’être aidé pour se tuer ou d’être tué[10] ?

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[1] Voir, CCNE, Avis 139.
[2] Le Président Macron, alors candidat, n’avait pas caché dès 2022, qu’il était personnellement « favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge ». Le droit de mourir dans la dignité sera(it), dixit R. Ferrand, la « grande réforme de société » de son second quinquennat. Entre temps (8 mars 2024), il y a eu l’inscription dans la Constitution de « la liberté garantie à la femme d’avoir recours » à une IVG.
[3] CCNE, Avis 129.
[4] Ibid.
[5] Même si le Législateur doit veiller à en encadrer « strictement, éthiquement » les pratiques, selon les préconisations du CCNE dans son Avis 139, l’aide active à mourir cesse d’être une question simplement éthique dès lors qu’elle est une disposition légale.
[6] Plutôt que d’ « aide médicale à mourir » comme au Québec. On rappelle que l’aide active à mourir couvre en fait trois situations : non seulement l’euthanasie et le suicide assisté qui sont pratiqués à l’hôpital ou dans l’enceinte d’une association, mais aussi l’aide pharmacologique au suicide comme dans certains États des États-Unis (assistance au suicide) qui en est la forme à la fois la plus « démédicalisée », la moins « paternaliste » et la moins violente symboliquement. Voir C. Pelluchon, « Comment délibérer sur la fin de vie et l’aide active à mourir ? », Cité, 2016/2, n° 66.
[7] Pour rappel, en vingt ans, quatre lois sur la fin de vie, inspirées par les travaux du CCNE ont été adoptées par le Parlement français : la loi du 9 juin 1999 sur le droit aux soins palliatifs ; la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades (sur le consentement libre et éclairé) ; la loi du 22 avril 2005, dite loi Léonetti, contre l’« acharnement thérapeutique » ;  la loi du 2 février 2016, dite loi Claeys-Leonetti, sur le droit à une « fin de vie digne et apaisée » (sédation profonde, soins palliatifs) mais dont on souligne désormais les limites ou le cadre inapproprié dans les cas de maladies dégénératives, voire d’Alzheimer.
[8] L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) naît en 1980.
[9] « L’euthanasie est l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable » (CCNE, Avis n° 63, janv. 2000).
[10] Voir P. Verspieren, Face à celui qui meurt. Euthanasie, acharnement thérapeutique, accompagnement, Paris, DDB, 1984.

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