
Laurent Cournarie (26 avril 2020)
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Le Rêve de d’Alembert est sans doute l’une des œuvres philosophiques les plus importantes de Diderot [1] : « forme éblouissante du dialogue, audace inouïe des hypothèses, divination prophétique des conquêtes de la science moderne »[2]. C’est en même temps une des œuvres les plus déconcertantes de l’histoire de la philosophie. Le dialogue est un genre philosophique qui a une longue tradition, dans l’Antiquité et parmi les modernes (Leibniz, Berkeley). Diderot avait songé à faire dialoguer Démocrite, sa maîtresse Leucippe et le médecin Hippocrate[3]. Mais il est plus adapté au propos qui avance un matérialisme complet et des hypothèses audacieuses sur la génération, le rôle du cerveau, l’unité de la matière ou du sujet, mais aussi plus malicieux et jubilatoire de choisir des contemporains – après avoir renoncé à prendre des « morts modernes » (Dumarsais à la place de d’Alembert, La Mettrie à la place de Bordeu, Mlle Boucher à la place de Mlle de Lespinasse, son rôle étant tenu par l’érudit Bouidin[4]. Le rêve est une espièglerie qui permet d’incarner ses idées par des êtres bien vivants et connus, — même si c’est pour prêter, avec l’alibi du rêve et de la fièvre, au mathématicien d’Alembert des hypothèses biologiques les plus folles que son rationalisme récusait.
[1] Né à Langres dans un milieu bourgeois, Diderot reçoit son éducation des jésuites. Après avoir étudié le droit et la philosophie, il est reçu à 22 ans bachelier en théologie à la Sorbonne. Dans la vie de bohème qu’il mène par la suite, il s’intéresse à tout ; aux mathématiques, au théâtre, à la chimie ou encore aux parties d’échecs qui lui donnent l’occasion de rencontrer J-J Rousseau. Cet esprit pluridisciplinaire, on le retrouve dans le projet encyclopédique qu’il mène avec d’Alembert entre 1751 et 1780. Dans son parcours philosophique qui va du déisme à l’athéisme, Diderot aboutit à une forme d’humanisme matérialiste qui refuse de concevoir le bonheur de l’homme en dehors de la société. C’est pour avoir écrit « il n’y a que le méchant qui soit seul » qu’il se fâche avec J-J Rousseau. Diderot a laissé aussi une œuvre dramatique impressionnante, mais la plus grande partie de ses écrits, qu’il s’agisse des lettres à Catherine II, à Sophie Volland, ou des diverses collaborations qu’il a mené avec Grimm, Raynal et d’autres, sont longtemps restés inconnues après sa mort.
[2] L. Versini, Œuvres, tome I Philosophie, Bouquins, Robert Laffont, 1994, p. 603.
[3] prolongeant ainsi la tradition du dialogue philosophique qui est souvent un dialogue des morts.
Cf. Lettre à Sophie Volland, 31 août 1769.
[4] Cf. la version destinée à Catherine II de 1774.